Depuis un certain temps, la justice burkinabè est au centre d’une cabale tendant à la dénigrer afin d’atteindre un objectif inavoué : celui de restaurer la présidence du Chef de l’Etat et la vice-présidence du ministre de la justice au Conseil supérieur de la magistrature. Les actions préparatoires sont, entre autres, constituées par la manifestation devant le palais de justice de Ouagadougou autorisée par les autorités administratives et les graves déclarations des premiers responsables de notre pays.

Concernant la manifestation, les acteurs du monde judiciaire ont eu la désagréable surprise de constater qu’une autorisation avait été donnée à l’Association pour la promotion de la démocratie et de la participation citoyenne dirigée par Mme Lopez/Zongo Safiatou par la délégation spéciale de la commune de Ouagadougou pour contester les décisions de liberté provisoire de certains inculpés du tribunal militaire de Ouagadougou.

A l’occasion de cette manifestation téléguidée qui a eu lieu le jeudi 02 juin 2016, Mme Lopez/Zongo Safiatou a déclaré que : « ça nous fera mal que le palais de justice connaisse le même sort que l’Assemblée nationale mais si la justice ne nous donne pas le choix, on n’aura pas le choix ».

Cette manifestation est intervenue après une sortie médiatique du ministre de la justice à l’occasion de laquelle il a déclaré qu’il y a la loi mais que les juges doivent tenir compte des aspirations du peuple comme s’il était alors impossible au pouvoir politique de faire prendre en compte cette préoccupation en légiférant simplement pour imposer au juge de rendre la décision la plus « populaire » qui puisse être lorsqu’il est saisi.

Concernant les réactions des plus hautes autorités de l’Etat, les acteurs judiciaires ont suivi avec beaucoup d’étonnement les propos de Monsieur Salifou Diallo, Président de l’Assemblée nationale, lors de la formation des jeunes du MPP sur les valeurs de base de la social-démocratie (du 03 au 05 juin 2016) qui disait notamment que : « on ne quittera pas le pouvoir des armes pour tomber dans le pouvoir des juges. Nos juges sont devenus des affairistes et pour que notre justice soit sociale et équitable, il faudrait qu’à la prochaine révision constitutionnelle, on mette des garde-fous afin que celle-ci réponde aux aspiration de notre peuple ».

S’agissant de son Excellence Monsieur le Président du Faso, lors de son dernier voyage à Dakar le 03 juin 2012, il a déclaré face à nos compatriotes vivant au Sénégal que : « je voudrais simplement vous dire que lors de la transition, il a été décidé de réformer la justice pour la rendre indépendante, en retirant du Conseil supérieur de la magistrature le président de Faso et le ministre de la justice, parce qu’on considère que la présence de ces deux- là empêche l’indépendance de la justice. Aujourd’hui, au plan de la justice, les décisions qui se prennent là-bas, nous n’y sommes pas impliquées.

Malheureusement, lorsqu’on a des gens en liberté provisoire, la tendance c’est de dire que c’est le gouvernement qui a dit de les libérer, or, nous-mêmes, on apprend les décisions comme tout le monde. C’est dire que sur le plan de l’application de ce que nous avons appelé l’indépendance de la justice, je crois qu’aujourd’hui, chaque burkinabè comprend pourquoi il est nécessaire que le Président du Faso et le ministre de la justice soient au Conseil supérieur de la magistrature. Parce que si vous avez un Etat où la magistrature est son propre patron, cela peut créer beaucoup de problèmes. Et je crois que lors des discussions constitutionnelles pour le passage à la 5ème République, ce seront des questions qui seront revues, au regard de la réalité et l’applicabilité sur le terrain ».

Cette position a été reprise lors de son séjour aux Etats Unis d’Amérique où le Président du Faso est allé au-delà de ses premières déclarations en regrettant, contre toute attente, de s’être vu opposé le secret de l’instruction et l’indépendance du juge lorsqu’il a, suivant ses propres mots, convoqué les juges du tribunal militaire pour lui rendre compte de l’état du « dossier Sankara ».

Au regard des différents actes et propos susvisés, les syndicats de magistrats voudraient rappeler que le programme politique du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), parti au pouvoir, ainsi que le pacte national pour le renouveau de la justice issu des états généraux sur la justice dont le MPP est signataire, consacrent la nécessaire indépendance du pouvoir judiciaire.

Se dédire en si peu de temps et alors même que la mise en place des organes issus de la déconnexion du Conseil supérieur de la magistrature de l’exécutif est toujours en cours et ne permet donc pas en l’état de juger de l’efficacité de ces réformes pour les revoir éventuellement, laisse songeur. Sauf à dire qu’ils doivent être impliqués dans la prise de décisions, on ne voit pas quel est le rapport entre la critique faite à des décisions de justice, de surcroît du Tribunal militaire qui ne relève pas du Conseil supérieur de la magistrature, et le retour du Président du Faso et du ministre de la justice au sein dudit Conseil.

Du reste, au sujet des dernières décisions, le pouvoir politique dans sa communication met sur la place publique des éléments tellement inexacts et erronés que les syndicats de magistrats ne peuvent s’empêcher de penser que c’est à dessein.

En conséquence de ce que sus relevé, les syndicats de magistrats invitent les gouvernants du moment :

  • à s’entourer du maximum d’informations possibles, et à l’issue, à avoir le courage d’une communication vraie à la fois en droit et en fait ;
  • à maintenir la parole donnée quant à l’avènement d’une justice indépendante et à la traduire dans leurs actes et propos. A ce sujet, la qualité des échanges portant sur leurs décrets, mais également sur l’indépendance de la justice envisagée d’une manière plus globale, que les syndicats de magistrats ont eus à une époque plus ou moins récente avec le Président du Faso ne semblait pas pouvoir laisser entrevoir l’éventualité du débat en cours ;
  • à se souvenir enfin que l’un des maître-mots de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 était l’avènement d’une justice indépendante, et plus particulièrement, l’avènement d’une justice soustraite de toute emprise politique.

Les syndicats de magistrats n’ont pas envie d’une incompréhension permanente avec le pouvoir politique mais ils refuseront toujours avec la dernière énergie que l’indépendance de la justice, au lieu d’être renforcée, puisse être remise en cause.

Non à des juges acquis !
Non à des juges faciles et dociles !
Non à une justice servile !
Oui à une justice indépendante au service de tous !
Ouagadougou, le 10 juin 2016

Le Secrétaire Général du Syndicat des Magistrats Burkinabè

Christophe COMPAORE

Le Secrétaire Général du Syndicat Burkinabè des Magistrats

Moriba TRAORE

Le Secrétaire Général du Syndicat Autonome des Magistrats du Burkina

S Antoine KABORE